Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 juin 2013 par le Conseil d'État (décision n° 365253 du 24 juin 2013), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Alain G., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi de finances rectificative pour 2000.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999 de finances pour 2000, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 99-424 DC du 29 décembre 1999 ;
Vu la loi n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Nicolaÿ-de Lanouvelle-Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 16 juillet 2013 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 16 juillet 2013 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à l'audience publique du 12 septembre 2013 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du 1. de l'article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000 : « Sous réserve de l'exonération prévue au 22° de l'article 81, constitue une rémunération imposable toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail, à l'exception des indemnités de licenciement ou de départ volontaire versées dans le cadre d'un plan social au sens des articles L. 321-4 et L. 321-4-1 du code du travail, des indemnités mentionnées à l'article L. 122 -4-4 du même code ainsi que de la fraction des indemnités de licenciement ou de mise à la retraite qui n'excède pas le montant prévu par la convention collective de branche, par l'accord professionnel et interprofessionnel ou, à défaut, par la loi. » ;
« La fraction des indemnités de licenciement ou de mise à la retraite exonérée en application du premier alinéa ne peut être inférieure ni à 50 % de leur montant ni à deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l'année civile précédant la rupture de son contrat de travail, dans la limite de la moitié ou, pour les indemnités de mise à la retraite, du quart de la première tranche du tarif de l'impôt de solidarité sur la fortune fixé à l'article 885 U » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en réservant le bénéfice des exonérations partielles ou totales d'impôt sur le revenu aux indemnités versées par l'employeur dans le cadre d'un licenciement ainsi qu'aux indemnités de licenciement mentionnées par l'article L. 122-14-4 du code du travail lorsqu'elles sont allouées par le juge, et en excluant ainsi du bénéfice de ces exonérations les indemnités versées en application d'un protocole d'accord transactionnel faisant suite à une « prise d'acte », par le salarié, de son licenciement, les dispositions contestées, telles qu'interprétées par le Conseil d'État, méconnaissent le principe d'égalité devant l'impôt et les charges publiques ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
4. Considérant qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a posé le principe selon lequel constitue une rémunération imposable toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail et a fixé la liste des exceptions à cette règle ; qu'il a ainsi exonéré de l'impôt sur le revenu une fraction des indemnités de licenciement ou de départ volontaire ainsi que la totalité des indemnités de licenciement ou de départ volontaire lorsqu'elles sont versées dans le cadre d'un plan social au sens des articles L. 321-4 et L. 321-4-1 du code du travail ainsi que des indemnités mentionnées à l'article L. 122-14-4 du même code ; que ces dernières indemnités sont l'indemnité due lorsque la procédure de licenciement n'a pas été respectée, l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'indemnité allouée en cas de non-respect de la procédure prévue à l'article L. 321-1 du code du travail lors d'un licenciement collectif pour motif économique ;
5. Considérant qu'il ressort de la jurisprudence constante du Conseil d'État, rappelée dans la décision du 24 juin 2013 de renvoi de la présente question prioritaire de constitutionnalité, que l'article 80 duodecies définit limitativement les exceptions au principe d'imposition qu'il fixe et que les exonérations d'impôt prévues par les dispositions contestées ne sont pas applicables aux « indemnités perçues par un salarié en exécution d'une transaction conclue avec son employeur à la suite d'une "prise d'acte" de la rupture de son contrat de travail, qui ne peuvent bénéficier, en aucune circonstance et quelle que soit la nature du préjudice qu'elles visent à réparer, d'une exonération d'impôt sur le revenu » ;
6. Considérant que les dispositions contestées définissent les indemnités de licenciement ou de départ volontaire qui, en raison de leur nature, font l'objet d'une exonération totale ou partielle d'impôt sur le revenu ; que ces dispositions ne sauraient, sans instituer une différence de traitement sans rapport avec l'objet de la loi, conduire à ce que le bénéfice de ces exonérations varie selon que l'indemnité a été allouée en vertu d'un jugement, d'une sentence arbitrale ou d'une transaction ; qu'en particulier, en cas de transaction, il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction ;
7. Considérant que, pour le surplus, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé aux considérants 17 à 22 de sa décision du 29 décembre 1999 susvisée, les critères de l'exonération retenus par l'article 80 duodecies n'instituent ni des différences de traitement injustifiées ni une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; qu'en modifiant l'article 80 duodecies, l'article 1er de la loi susvisée du 30 décembre 2000 a prévu, pour son application aux indemnités de mise à la retraite des salariés, un plafonnement légal applicable à défaut de plafonnement conventionnel ; que, toutefois, une telle modification de ces dispositions n'est pas de nature à modifier l'appréciation de leur conformité à la Constitution ;
8. Considérant que les dispositions contestées ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; que, sous la réserve énoncée au considérant 6, elles doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 6, le 1. de l'article 80 duodecies du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000 est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Article 3.- Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 septembre 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 20 septembre 2013.